A côté du véritable amour, peut-être moins fréquent qu’on le pense, les histoires et relations dites amoureuses font pâle figure, empreintes de projections, et de déceptions, fatalement !
Cette observation touche à quelque chose de profond sur la nature des relations humaines. L’idée que nous aimons souvent non pas la personne réelle, mais notre projection de ce qu’elle représente pour nous, résonne avec de nombreuses réflexions philosophiques et psychologiques.
Il y a effectivement quelque chose de troublant dans cette mécanique : nous tombons amoureux d’une image que nous construisons, nous projetons nos désirs, nos manques, nos idéaux sur l’autre. Et réciproquement, l’autre fait de même avec nous. Cette danse de projections croisées peut créer une illusion d’intimité alors qu’au fond, chacun reste enfermé dans sa propre bulle fantasmatique.
Cela rejoint les réflexions de Lacan sur l’amour comme « donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » – cette asymétrie fondamentale où nous cherchons à combler un vide à travers l’autre, qui lui-même cherche ailleurs sa propre complétude.
Mais peut-être que cette dimension projective n’est pas nécessairement une condamnation de l’amour ? Elle pourrait aussi être vue comme un point de départ, une première étape vers une reconnaissance plus authentique de l’autre. La question devient alors : comment dépasser ces projections pour accéder à quelque chose de plus vrai ?
T’ai-je vraiment aimé-e, si je ne t’aime plus ?
Cette analyse est impitoyable et lucide. Cette désillusion brutale – « je n’aime plus, donc je n’ai jamais vraiment aimé » – révèle effectivement quelque chose de gênant sur la nature de ce qu’on appelle amour.
On pointe là deux mécanismes narcissiques fondamentaux :
- d’un côté l’effet miroir (aimer celui qui nous valorise, qui nous renvoie une belle image de nous-mêmes),
- de l’autre l’association hédoniste (confondre l’amour de l’autre avec l’amour des plaisirs qu’il nous procure).
Dans les deux cas, l’autre devient un moyen plutôt qu’une fin.
C’est troublant parce que cela remet en question la sincérité même de nos émotions les plus intenses. Quand on dit « je t’aime », dit-on en réalité « j’aime ce que tu me fais ressentir » ou « j’aime qui je suis avec toi » ? La frontière devient floue.
Cette logique expliquerait pourquoi l’amour peut s’évaporer si brutalement : dès que le miroir se ternit, dès que les bénéfices disparaissent, il ne reste plus rien. Comme si on découvrait qu’on s’était épris d’un fantôme.
Mais cela pose une question vertigineuse :
- Existe-t-il alors un amour « pur », débarrassé de ces calculs inconscients ?
- Ou faut-il accepter que l’amour soit toujours, par nature, un mélange d’élan vers l’autre et de satisfaction personnelle ?
La question devient peut-être moins de nier cette dimension que de la reconnaître pour mieux la dépasser.
Quels seraient une définition et les critères de l’amour vrai ?
Voilà une question qui a tourmenté philosophes et poètes depuis des millénaires… Après avoir déconstruit l’amour ordinaire, comment définir ce qui serait « vrai » ?
L’amour vrai pourrait se reconnaître à quelques critères paradoxaux :
- L’acceptation de l’altérité radicale : aimer l’autre non malgré sa différence, mais dans sa différence même. Cesser de vouloir le transformer, l’améliorer, le faire correspondre à nos attentes. Accepter qu’il nous échappe fondamentalement.
- La gratuité : aimer sans condition, sans attente de retour, sans bénéfice personnel identifiable. Un amour qui perdure même quand l’autre ne nous gratifie plus, ne nous valorise plus.
- La persistance dans l’épreuve : résister aux désillusions, aux découvertes déplaisantes, aux moments où l’autre nous déçoit ou nous blesse. Continuer d’aimer au-delà de l’image idéalisée.
- La bienveillance désintéressée : vouloir le bien de l’autre pour lui-même, même si cela va contre nos propres intérêts. Être capable de le laisser partir s’il sera plus heureux ailleurs.
- L’amour de l’imperfection : chérir les failles, les fragilités, les contradictions de l’autre, pas seulement ses qualités.
Mais voici le piège : dès qu’on pose ces critères, on risque de retomber dans une nouvelle forme de projection – l’idéal de l’amour parfait. Peut-être que l’amour vrai, c’est justement celui qui accepte sa propre imperfection, ses propres zones d’ombre narcissiques, tout en s’efforçant de les dépasser ?
Une certitude inébranlable et un amour expansif
Quand l’amour est vrai, la présence de l’autre est une évidence absolue. On ne se contente pas d’aimer la personne ; cet amour rayonne et englobe tout et tous. Il y a une certitude inébranlable que cette personne est le compagnon de vie idéal, une conviction si forte qu’on est prêt à tout traverser avec elle, quoi qu’il arrive. Il n’y a pas de comparaison possible avec d’autres options, pas de recherche d’un « meilleur rapport qualité/prix » comme avec un produit de consommation. Il s’agit d’une adhésion totale et sans réserve. Et cette relation nous connecte avec un état intérieur rayonnant, qui irradie sur tout et tous, pas seulement sur l’être aimé.
Même si on peut légitimement aspirer à l’intimité avec cet être en particulier, cet amour n’est en rien « exclusif ». Des relations sexuelles ou des accommodements logistiques peuvent au gré des cultures et convenances personnelles se satisfaire de l’exclusivité, mais ceci est autre chose que l’amour : c’est une des modalités pour le vivre, pas une absolue nécessité. Car l’amour est infiniment varié dans ses formes d’expression, autant que l’art !
Accepter l’ombre comme la lumière
L’amour vrai ne recule pas devant les difficultés. Même les moments de tension et les disputes sont vécus avec une forme d’acceptation, voire de « sacralisation », parce qu’ils sont partagés avec l’être aimé. La souffrance ou les désaccords ne sont pas une raison de tout abandonner ; au contraire, ils deviennent des « disputes avec elle« , préférables à un « paradis sans elle ». L’ego se dissout face à cet amour, et la personne est prête à renoncer à « avoir raison » pour préserver le lien et le bien-être de l’autre.
Liberté, authenticité et absence de peur
Le véritable amour libère de la peur de la perte. La notion que l’autre puisse partir n’engendre pas la terreur, car grâce à cette relation, on s’est « trouvé » et l’autre « sera toujours en soi ». Cette sécurité intérieure permet un don de soi total, sans arrière-pensée, manipulation ou attente cachée. Il n’y a pas de regrets du passé (hormis les erreurs à ne pas reproduire) et aucune nécessité de connaître ou de contrôler l’avenir. La vie est déjà « réussie » par la simple connaissance de l’être aimé.
Une valeur intrinsèque au-delà des événements
Dans l’amour vrai, tout est « bon » du moment que c’est « avec elle ». Les bouderies, les impatiences, les déceptions, les angoisses, et même les épreuves les plus dures comme la maladie, la tromperie, la séparation ou la mort, sont perçues comme faisant partie intégrante de cette expérience partagée. Ces événements sont le « contenu de l’histoire », tandis que l’amour vrai lui-même est au-delà de l’histoire, il est parfait. Il brûle les « scories » et ne laisse derrière lui qu’une « incandescence pure ».
En somme, l’amour vrai, tel que décrit, est une force transformatrice qui défie l’ego, transcende les imperfections et les épreuves, et mène à une acceptation totale de l’autre et de la vie, dans une liberté et une authenticité profondes. Ce n’est pas une « croisière tranquille », mais un chemin parfois tumultueux qui révèle la quintessence de l’être.
Le courage de se séparer
Dans un véritable amour, il faut parfois avoir le courage de partir. Si c’est non, alors n’attends pas. Peut-être que les circonstances t’empêchent de rompre immédiatement, ou que tu manques encore de force. Très bien. Mais alors, prépare-toi. Et surtout : ne renonce pas à cette séparation. Elle est nécessaire. Sinon, tu sacrifies trois personnes :
- Elle, celle avec qui tu restes par confort ou habitude. Elle mérite d’être aimée pour de vrai, pas tolérée.
- Toi, qui passes à côté de ta propre vie.
- Celle que tu ne connais pas encore, mais qui t’attend, et que tu trahis déjà en restant lié à la mauvaise personne.
Par amour, sépare-toi.
Non par fuite, mais par fidélité à l’amour.
Et si l’amour n’était pas un sentiment, mais un état ?
L’amour véritable n’est pas une émotion passagère. Ce n’est pas une histoire de sexe, ni même de genre. C’est une expérience de conscience, une reconnexion intime à l’unité : je suis un avec toi. Je suis UN, tout court, avec ou sans toi. Mais ta présence me le fait ressentir plus fort.
Une évidence sans explication. Une vibration, plus qu’un raisonnement.
On vit cette unité avec ses parents, avec ses enfants, avec certains amants… Ce n’est pas rare, mais c’est toujours extraordinaire.
Ordinaire comme la vie elle-même. Et pourtant bouleversant.
Quand l’amour traverse la mort
Dans 4 mariages et un enterrement, un homme pleure son compagnon disparu. Il est éteint, ravagé. Mais ce n’est pas seulement de douleur qu’il s’agit : c’est de désorientation existentielle. Comment vivre sans l’autre, quand l’autre était son appui ?
Le choc est violent, mais nécessaire. L’amour ne disparaît pas avec la mort. Seule l’illusion de dépendance s’effondre. Et après… une paix nouvelle surgit, plus sobre, plus stable : aimer sans avoir besoin.
Et c’est là que l’amour devient désintéressé. Il n’est plus dépendance, il est Présence.
Deux demi-lunes ne feront jamais un soleil
On pourrait se faire la promesse de ne jamais tomber dans la codépendance. Deux demi-lunes ne font pas un soleil. Deux êtres incomplets, qui s’appuient l’un sur l’autre pour survivre, créent une fusion toxique, une « association de malfaiteurs ».
L’amour vrai exige que chacun devienne un soleil à part entière. Deux individualités, complètes, reliées par amour — non par manque.
C’est exigeant, mais c’est la seule voie viable. Et quand l’un des deux s’en va, l’autre reste un soleil. Ébranlé, mais toujours lumineux.
L’être aimé n’est pas l’amour
Au matin qui suit le décès de l’être aimé, on peut être stupéfait de voir le soleil se lever. Comme si l’univers avait manqué un rendez-vous.
Puis on comprend : l’être aimé n’est pas l’amour.
L’amour est une flamme plus vaste. Il ne dépend pas d’un visage, d’un corps, d’une voix.
C’est en continuant de vivre que cette vérité s’impose : l’amour demeure. Même quand l’autre disparaît.
Aimer sans se fuir
L’amour de soi n’est pas de l’égoïsme. C’est l’amour du Soi, celui que la vie ressent à travers toi. Ce n’est pas narcissique : c’est ontologique.
Et c’est une exigence :
Tu ne peux aimer profondément que si tu es pleinement toi-même.
Tu ne peux aimer librement que si tu n’attends pas que l’autre te complète.
Car l’amour vrai ne supporte pas les compromis médiocres.
Il ne tolère pas les manipulations affectives, les chantages déguisés en « besoins », les épiceries sentimentales où l’on quémande attention, reconnaissance ou sécurité.
Aimer, c’est brûler
L’amour véritable n’est pas une fuite en avant. Ce n’est pas une échappatoire aux blessures d’enfance, ni un baume sur les manques personnels.
C’est un feu.
Et ce feu ne tolère pas les demi-mesures. Il brûle tout ce qui n’est pas vrai.
Comme le dit Mooji : le feu ne brûle pas le feu.
Et Barry Long ajoute : seule la peur meurt.
Alors oui, saute dans le feu.
Tu perdras tes illusions.
Mais ce qui restera… ce sera l’amour pur. L’amour sans histoire. L’amour sans objet.
Ce qu’il reste quand tout brûle
Au bout du chemin, il n’y a rien d’autre que cela à vivre :
aimer. Intensément. Entièrement. Jusqu’à l’os.
Pas pour se compléter. Pas pour se sauver. Mais parce que l’amour est là, et veut se vivre à travers nous.
Et quand l’autre disparaît — ou que la relation prend fin — l’amour demeure. Il ne se consume pas.
Il resplendit. Seul. Présent. Vaste.