En Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), le concept du Yin-Yang est bien plus qu’une simple dualité ; c’est un pilier fondamental qui sous-tend toute la compréhension du corps humain, de la physiologie à la pathologie, en passant par le diagnostic et le traitement. Il s’agit d’une vision holistique et dynamique de l’univers et de l’être humain, où tout est en constante interaction et transformation.
Voici les principes clés du Yin-Yang selon la MTC :
1. Opposition et Interdépendance :
- Opposition : Le Yin et le Yang sont des forces opposées mais complémentaires. Chaque chose ou phénomène peut être caractérisé par son aspect Yin ou Yang. Exemples :
- Yin : obscurité, froid, passivité, intériorité, lenteur, substance, humidité, le bas du corps, les organes « Zang » (pleins : Cœur, Foie, Rate, Poumons, Reins).
- Yang : lumière, chaleur, activité, extériorité, rapidité, fonction, sécheresse, le haut du corps, les organes « Fu » (creux : Vésicule Biliaire, Estomac, Gros Intestin, Intestin Grêle, Vessie, Triple Réchauffeur).
- Interdépendance : Le Yin et le Yang ne peuvent exister l’un sans l’autre. Ils sont les deux facettes d’une même réalité. Le jour n’a de sens que par rapport à la nuit, le mouvement par rapport à l’immobilité. Dans le corps, le Yin (substances, sang, liquides) nourrit le Yang (fonctions, énergie), et le Yang protège et active le Yin. S’il n’y a pas de Yin, le Yang ne peut pas être engendré, et inversement.
2. Croissance et Décroissance (Équilibre Dynamique) :
- Le Yin et le Yang sont dans un état d’équilibre dynamique constant. Lorsque l’un croît, l’autre décroît. Ce cycle est visible dans les saisons (le Yang augmente au printemps et en été, le Yin augmente en automne et en hiver) ou dans la journée (le Yang prédomine le jour, le Yin la nuit).
- Dans le corps, la consommation de substances nutritives (Yin) pour les activités fonctionnelles (Yang) est un exemple de croissance du Yang et décroissance du Yin.
3. Transformation Mutuelle :
- À leur apogée, le Yin peut se transformer en Yang et le Yang en Yin. Par exemple, une extrême chaleur (Yang) peut entraîner une transpiration excessive (perte de liquides Yin), conduisant à une déficience de Yin et potentiellement à des symptômes de « vide de Yin ». De même, un froid extrême (Yin) peut, après un certain temps, se transformer en chaleur interne, un phénomène souvent observé dans certaines maladies.
- Le symbole du Taiji (le cercle noir et blanc avec un point de la couleur opposée dans chaque partie) illustre parfaitement cette idée : chaque pôle contient une « graine » de l’autre, indiquant la possibilité de transformation.
Application en MTC :
Le concept du Yin-Yang est utilisé pour :
- Expliquer la Physiologie Humaine : Les organes, le sang, le Qi (énergie vitale), les liquides corporels, les tissus, les fonctions – tout est classifié selon les principes du Yin-Yang et leur interaction. Par exemple, le Qi est Yang (actif, mobile), tandis que le Sang est Yin (substantiel, nourricier).
- Comprendre la Pathologie : La maladie est considérée comme un déséquilibre entre le Yin et le Yang.
- Excès de Yang : Se manifeste par des signes de chaleur, d’agitation, d’inflammation, de rougeur (ex: fièvre, insomnie, bouche sèche).
- Excès de Yin : Se manifeste par des signes de froid, de léthargie, de pâleur, d’œdème (ex: frilosité, fatigue, digestion lente).
- Déficience de Yang : Manque de chaleur et d’activité (ex: frilosité, fatigue chronique, hypothermie).
- Déficience de Yin : Manque de substances et de liquides, entraînant une « fausse chaleur » ou une chaleur par insuffisance (ex: sueurs nocturnes, bouffées de chaleur, sécheresse, agitation le soir).
- Guider le Diagnostic : Lors de l’examen, le praticien de MTC analyse les symptômes du patient en termes de Yin-Yang : la couleur du teint, la chaleur ou la froideur du corps, la force de la voix, la nature des douleurs, les pouls, la langue, etc., pour déterminer la nature du déséquilibre.
- Orienter le Traitement : L’objectif est de rétablir l’équilibre du Yin-Yang.
- Pour un excès de Yang, on va « disperser » le Yang (par exemple, avec des herbes rafraîchissantes ou des points d’acupuncture qui calment).
- Pour un excès de Yin, on va « réchauffer » et « disperser » le Yin (avec des herbes chaudes, la moxibustion).
- Pour une déficience de Yang, on va « tonifier » le Yang (par exemple, avec des herbes réchauffantes et tonifiantes, des points d’acupuncture qui stimulent l’énergie Yang).
- Pour une déficience de Yin, on va « nourrir » le Yin (avec des herbes hydratantes et nourrissantes, des points d’acupuncture qui renforcent le Yin).
En résumé, le Yin-Yang en MTC n’est pas une simple théorie philosophique, mais un cadre conceptuel et pratique indispensable pour comprendre, diagnostiquer et traiter les maladies, en cherchant toujours à rétablir l’harmonie et la dynamique équilibrée au sein du corps.
Symbole Yin-Yang (Taiji Tu)

Le Taiji Tu (太極圖), souvent appelé « symbole du yin et du yang », est un idéal visuel d’équilibre dynamique dans la pensée chinoise traditionnelle. Il ne s’agit pas simplement d’un logo esthétique, mais d’une cosmogramme représentant la naissance, l’évolution et la complémentarité de tous les phénomènes dans l’univers.
Décomposition du symbole : ce que montre le dessin
Le cercle
- Représente le Tout, l’Unité primordiale (le Wu Ji, 無極) avant toute différenciation.
- Il est fermé mais sans centre fixe visible : il est l’espace de la transformation cyclique.
Les deux virgules (Yin et Yang)
- Les deux formes opposées (souvent blanche et noire) expriment la polarité fondamentale :
- ⚪ Yang (blanc) : lumière, activité, expansion, chaleur, haut, masculin.
- ⚫ Yin (noir) : obscurité, repos, contraction, froid, bas, féminin.
- Leur disposition en spirale traduit le mouvement permanent, circulaire et complémentaire.
- L’univers est vivant, rythmé par des alternances : jour/nuit, inspiration/expiration, naissance/mort.
Les deux points (l’un dans chaque moitié)
- Dans le Yin, un germe de Yang ; dans le Yang, un germe de Yin.
- Cela reflète le principe que tout extrême engendre son contraire (« le Yang extrême devient Yin », dit le Yi Jing).
- L’opposition n’est ni conflictuelle ni rigide, mais génératrice.
Significations profondes
Une cosmologie
- Le Taiji Tu est la représentation du passage du Wu Ji (le Non-être, le vide absolu) au Taiji (le principe suprême du mouvement différencié).
- De là naît la dualité Yin/Yang, qui donne ensuite les Cinq éléments (Bois, Feu, Terre, Métal, Eau), puis les dix mille êtres.
Une lecture du vivant
- Corps, souffle, émotions, saisons, organes : tout suit des cycles Yin-Yang.
- Exemple :
- Le cœur est Yang (feu, été, haut)
- Les reins sont Yin (eau, hiver, bas)
- L’équilibre entre les deux est vital (le « vide médian » en est le souffle régulateur).
Une éthique
- Le Taiji Tu est une invitation à la voie moyenne, à l’harmonie plutôt qu’au dualisme.
- Agir sans excès, écouter les transformations, suivre la Voie (le Dao).
Le Taiji Tu :
- Est une carte dynamique de la vie ;
- Reflète un principe d’équilibre mouvant ;
- Invite à cultiver une conscience fluide, à l’écoute des mutations ;
- Appelle à une vision holistique du monde.
Origines du symbole
Le Taiji Tu (太極圖), dans sa forme symbolique circulaire représentant le Yin et le Yang en interaction, n’est pas aussi ancien qu’on pourrait le croire. Il résulte d’une élaboration progressive au cours de l’histoire chinoise — sa forme actuelle remonte au XIe siècle, bien que ses racines philosophiques soient bien plus anciennes.
Origines philosophiques : -500 à -200 av. J.-C.
- Les concepts de Yin et de Yang sont anciens, présents dès les Classiques chinois comme le Yijing (易經, Livre des Mutations) vers -700 à -300 av. J.-C.« Le Dao engendre l’Un, l’Un engendre le Deux (Yin-Yang), le Deux engendre le Trois, le Trois engendre les dix mille êtres. » (Dao De Jing, Laozi, ch. 42)
- Mais aucun symbole graphique du type « Taiji Tu » n’est alors utilisé. On parle en termes textuels et numériques (traits pleins ou brisés dans le Yijing).
Codification symbolique : dynastie Song (960–1279)
- Le premier vrai dessin du Taiji Tu est attribué au philosophe Zhou Dunyi (周敦頤, 1017–1073) dans son traité Taiji Tushuo (太極圖說, Explication du diagramme du Taiji).
- C’est une version cosmologique néo-confucéenne, très abstraite, avec cercles concentriques et éléments du Yijing.
- Cette version est connue comme le « diagramme du Taiji ancien ».
Apparition du symbole en « poisson Yin-Yang » : XIIIe–XIVe siècle
- La forme rotative et dynamique avec les deux « virgules » (blanche et noire) apparaît probablement à la fin de la dynastie Song ou au début de la dynastie Yuan (1271–1368).
- Cette version est souvent attribuée à un courant taoïste ou ésotérique, notamment dans les pratiques internes (alchimie taoïste, Qi Gong, etc.).
- Elle est parfois appelée Taiji moderne ou diagramme du Taiji à poissons entrelacés (魚太極圖).
Diffusion moderne : XXe siècle
- Le symbole est repris et diffusé massivement au XXe siècle, notamment par les écoles de Taiji Quan, de Qi Gong et de médecine chinoise.
- Il devient un symbole universel du taoïsme et de la philosophie orientale dans le monde entier.
La notion de yin-yang selon Cyril Javary
Cyrille Javary, sinologue et spécialiste du Yi Jing, offre une perspective profonde et nuancée sur le concept du Yin-Yang, qui va bien au-delà des interprétations simplistes occidentales. Voici les points clés de sa vision :
- Le Yin-Yang n’est pas une opposition statique, mais une dynamique du changement : Pour Javary, la plus grande méprise occidentale est de considérer le Yin et le Yang comme deux entités distinctes, opposées et figées. Au contraire, en chinois, « Yin-Yang » est un seul mot, décrivant le fonctionnement de tout ce qui est vivant, un mouvement incessant, une danse universelle. Il ne s’agit pas de « Yin et Yang » séparés, mais d’une alternance continue. L’hiver, par exemple, n’est pas « l’hiver » en soi, mais ce qui deviendra l’été, avant de redevenir hiver. Chaque aspect est le futur et le passé de l’autre, sans substance ou fixité propre.
- Le quiproquo de la traduction : Le fait que les langues occidentales aient besoin de deux mots (« Yin » et « Yang ») pour traduire ce concept chinois en un seul mot est, selon Javary, à l’origine de nombreuses incompréhensions. Cela nous pousse à penser en termes de séparation et d’opposition, alors que la pensée chinoise est unitive et harmonisante.
- Une observation fine du vivant : Le concept du Yin-Yang est né de l’observation minutieuse des systèmes vivants et naturels. Ce n’est pas une philosophie abstraite, mais un modèle stratégique pour gérer le changement, enraciné dans le pragmatisme chinois. L’idéogramme du Yin représente un ciel qui s’obscurcit, celui du Yang un ciel qui s’éclaircit ; ensemble, ils décrivent des épisodes consécutifs, non des oppositions fixes.
- La primauté du mouvement et de la transformation : Le Yin-Yang met l’accent sur le mouvement, la transformation et l’alternance. Il ne s’agit pas d’attribuer des catégories fixes (par exemple, « masculin » ou « féminin » au Yin et au Yang), ce qui est un non-sens pour la pensée chinoise. C’est un modèle qui nous invite à comprendre que la seule constante est le changement, et à nous y ajuster.
- Une pensée unitive et non dualiste : Contrairement à la pensée occidentale qui tend à séparer et à opposer, le Yin-Yang, tel qu’interprété par Javary, nous ramène à une vision unifiée du monde. Il nous aide à dépasser les dilemmes et à aborder les problèmes avec une compréhension plus subtile de leur nature changeante.
- Le lien avec le Yi Jing : Cyrille Javary est un expert du Yi Jing (Livre des Changements), qui est intrinsèquement lié au concept du Yin-Yang. Le Yi Jing, pour Javary, n’est pas un outil de divination irrationnelle, mais un « manuel d’aide à la prise de décision », un « guide pratique » qui permet de comprendre les situations de la vie quotidienne en les reliant aux 64 hexagrammes, qui sont des représentations des dynamiques Yin-Yang en constante mutation.
En somme, Cyrille Javary nous invite à déconstruire nos idées préconçues sur le Yin-Yang et à l’appréhender comme un principe dynamique du changement, fondamental à la compréhension de la pensée chinoise et à une approche plus souple et harmonieuse du monde.
Ouvrages de C.Javary sur le Yi Jing (Livre des Changements) :
- « Le Yi Jing, le Livre des changements » (Albin Michel, 2012) : C’est probablement son œuvre la plus connue et la plus fondamentale. Il s’agit d’une traduction et d’un commentaire approfondis du Yi Jing, qui le rend accessible et pertinent pour le lecteur contemporain. Il y développe sa vision du Yi Jing comme un outil de décision et de compréhension du monde.
- « Comprendre le Yi Jing » (Guy Trédaniel, 2017) : Un ouvrage plus didactique, qui sert d’introduction et de guide pratique pour ceux qui souhaitent s’initier au Yi Jing.
- « Le Yi Jing, la stratégie du Tao » (Éditions du Seuil, collection Points Sagesses, 2004) : Une exploration de la dimension stratégique du Yi Jing, et comment ses principes peuvent être appliqués dans la vie quotidienne et professionnelle.
- « Les Saisons du Yi Jing » (Albin Michel, 2017) : Un livre qui relie le Yi Jing aux cycles naturels et aux saisons, montrant l’application concrète de ses principes dans le temps.
- « Pratiquer le Yi Jing » (Albin Michel, 2019) : Un guide pratique pour l’utilisation du Yi Jing, avec des exemples concrets et des conseils pour l’interprétation.
Autres ouvrages de C.Javary sur la pensée chinoise et la stratégie :
- « La Sagesse du Yi King pour les managers » (Éditions Eyrolles, 2007) : Application des principes du Yi Jing au monde de l’entreprise et du management.
- « Tao-tö king – Le livre de la voie et de la vertu » (Albin Michel, 2016) : Traduction et commentaire du texte fondamental du taoïsme de Lao Tseu.
- « Petit manuel de la simplicité volontaire selon la sagesse chinoise » (Albin Michel, 2019) : Une exploration des principes de la simplicité et de la sobriété à travers le prisme de la pensée chinoise.
- « Vaincre la peur avec la sagesse chinoise » (Albin Michel, 2021) : Comment les enseignements chinois peuvent nous aider à gérer l’anxiété et la peur.
- « L’Art de la guerre de Sun Tzu » (Albin Michel, 2001) : Traduction et commentaires de ce classique de la stratégie chinoise. Il a également réalisé des versions commentées et des analyses.
- « Les Trésors de la sagesse chinoise » (Albin Michel, 2023) : Un recueil de textes et d’enseignements clés de la philosophie chinoise.
Le vide median
Voici un résumé détaillé en français du Livre du vide médian de l’académicien François Cheng (Albin Michel, 2004, édition augmentée 2009, 224 pages) : une méditation poétique et philosophique sur le cœur du taoïsme et la dynamique du souffle à l’œuvre entre yin, yang et vide pascalide.fr+10Wikipédia+10Amazon+10.
Présentation générale
François Cheng décrit le Vide médian comme ce troisième souffle qui surgit chaque fois que le yin et le yang sont en présence : il absorbe le meilleur de chacun, les élève, les transforme, et crée une harmonie créatrice. Le titre du livre reflète cette exploration subtile d’un principe central pour le Tao.
Trois souffles essentiels
Cheng distingue trois souffles vitaux issus du souffle primordial : souffle yin, souffle yang, et le souffle du Vide médian, celui qui assure circulation, transformation et harmonisation entre les deux premiers
Distinction entre vide originel et vide médian
Il clarifie une double ontologie du vide :
- Le Vide originel (ou suprême) est antérieur à la création ; il correspond au Tao lui-même.
- Le Vide médian est intérieur aux êtres matériels, antérieur à la séparation du yin et du yang, mais leur médiation dynamique
Le Vide médian ne consiste pas en un vide passif, mais en un souffle actif qui anime le monde.
Fonctions et rôle du Vide médian
- Circulation : il met en mouvement les transformations internes de l’univers.
- Transformation : il permet la mutation réciproque entre yin et yang.
- Harmonisation : il crée la cohésion entre les êtres et avec l’origine cosmique
Figures illustrant le Vide médian
Cheng emploie des images symboliques pour concretiser ce concept :
- La vallée : creuse, accueil, féconde et inépuisable — figure du lien yin-yang animé par le souffle
- Le moyeu de la roue : le vide au centre permet le mouvement—métaphore de l’usage vital du Vide
- Le non-achevé en peinture : laisser du vide dans l’œuvre (calligraphie, paysages), pour véhiculer vie et souffle intérieur
Dimension humaine et spirituelle
- À l’échelle du corps : l’expérience du vide (articulation, respiration, interstices…) est indispensable au mouvement et à la fluidité intérieure
- À l’échelle du cœur : maintenir un cœur vide d’opinion préconçue — ouvert, dans l’indifférence créatrice — est essentiel à la sagesse
Approche poétique du Vide médian
Ce livre comprend cent deux poèmes qui explorent la notion d’« entre » : ces espaces vivants qui surgissent dans l’entre-deux, dans le souffle du Vide médian, porteurs de la vie et de la nouveauté albin-michel.fr.
François Cheng y célèbre ce vide fertile où se crée le possible.
Synthèse et apport
- Le Vide médian est un troisième souffle, médiateur et créatif.
- Il unit yin et yang tout en animant leur interaction.
- Il est à la fois ontologique, physique, spirituel et esthétique.
- Cheng le propose comme une expérience de vie, incarnée dans l’art et la conscience.



